La fête de la Toussaint n’est qu’un leurre si l’horizon de la fin et de la mort ne sont pas « éclairés » par la « Révélation /Apocalypse ». Mais rien n’est plus mis sous le tapis que les textes apocalyptiques du NT, La croyance bizarre selon laquelle l’Apocalypse est un livre inintelligible a prévalu dans de nombreux cercles catholiques. Mais il est illogique de penser qu’un livre dont le titre signifie « Révélation » est caché à la compréhension. Et il est grotesque de penser que l’ Apocalypse est un livre sombre et désolé où ne sont racontées que des calamités ; alors que son but n’est autre que d’apporter espoir et réconfort au milieu de la tribulation. Juste ce dont on a le plus besoin aujourd’hui !
En outre, l’Apocalypse est contenue sous une forme abrégée dans les Évangiles (Mc 13, Mt 24) ; et l’un de ces passages est lu dans les églises, à la messe de l’avant-dernier dimanche du temps ordinaire. Mais ensuite, dans la prédication, la question centrale de ce passage évangélique est évitée, édulcorée et confuse ! Et la même chose se produit avec la prédication de l’Avent, qui est le temps liturgique établi pour rappeler la première venue du Christ et annoncer sa seconde ; mais en général rien n’est dit sur la seconde. C’est le cœur de la Toussaint. Pourquoi ?
On pourrait soutenir que l’Église a cessé de prêcher de tels mystères par prudence, pour éviter une confrontation conflictuelle avec le rationalisme de l’époque, tout comme les chrétiens des premiers siècles ont profité de la « discipline des arcanes » pour éviter les persécutions des empereurs romains. Mais la discipline des arcanes conseillait le silence sur certains points de dogme lorsqu’on parlait aux incroyants ; pas lors de la prédication ou de la catéchèse des fidèles. Maintenant c’est aux fidèles qu’on le cache.
En ne parvenant pas à expliquer l’Apocalypse dans la prédication et la catéchèse, deux falsifications folles se sont développées – également dans les milieux catholiques – : d’une part, une vision moderne et adaptée à l’air du temps, qui prône que l’humanité se perfectionnera, sur l’élan du progrès indéfini, jusqu’à ce que le paradis soit établi sur terre ; et de l’autre, une vision nihiliste, qui peint un avenir de calamités et d’hécatombes, à la manière des dystopies de science-fiction. Face à ces visions aberrantes – et désespérées – se dresse la vision que nous offre le livre de Saint Jean, qui, tout en annonçant les tristes événements qui précéderont la fin du monde, nous offre l’espoir du triomphe final. La victoire de l’Agneau et de ceux dont leurs corps ont assimilé son sang (Ap 10).
Dans son discours à l’Aréopage, saint Paul tente de prêcher sa foi avec des mots accessibles à son auditoire. Dans un premier temps, son discours est tout à fait acceptable à ces hommes, formés à la philosophie grecque, puisque saint Paul livre des réflexions sur lesquelles païens et chrétiens pourraient converger sans désaccord excessif. Mais, le moment venu, il n’a aucune honte à parler du Jugement dernier, pierre de scandale pour ses auditeurs, qui pouvaient accepter l’immortalité de l’âme, mais pas la résurrection de la chair. Et, bien entendu, ses propos provoquent alors le rejet.
Peut-être par peur de ce rejet et de ce scandale, par peur de ne pas être acceptée dans un monde « rationaliste », l’Église hésite dans sa prédication de la Parousie du Christ. Après l’hésitation, essayer de la prêcher à nouveau devient de plus en plus difficile, puisque l’esprit de notre temps préfère ignorer toute matière affligeante (la gloire de la Parousie sera précédée d’événements durs). Les messages comme Fatima et la Salette, sont évacués par peur de ne pas être acceptés par les « croyants ». Ainsi ils deviennent médiocres, ils ne seront jamais des saints !
Ainsi, dépouillée de son horizon eschatologique (sa clé de voûte), la foi finit par être évacuée de sa substance, car la foi « est la substance de ce qu’on espère ». Lorsque le croyant cesse d’attendre, s’il ne sait pas avec certitude ce qu’il espère, il finit par réduire sa foi à un code de bonne conduite, assaisonné d’une vague affirmation de transcendance ; et il vit avec une plus grande peur et une plus grande anxiété, puisque la persécution plus ou moins ouverte ou sibylline que subit sa foi cesse d’avoir un sens théologique, et il n’a d’autre solution que de passer inaperçu jusqu’à ce que la tempête se calme (qui ne se calmera jamais, tant que le monde sera le monde), devenant une foi rétrécie, prise en embuscade ou insensée. Il faut revenir à l’Apocalypse pour que l’aspiration à la sainteté ne soit pas un rêve mais une réalité concrète.